Vivre dans un piano

Vivre dans un piano : au premier abord, cela paraît compliqué, à moins d’être un termite. Mais ensuite, il suffit de devenir tout petit (un régime, et il n’y paraît plus) et de se glisser entre les marteaux. Il suffit d’attendre. Attendre que le seul meuble qui parle, se décide à donner de la voix. C’est la vraie vie qui commence. Une vibrante existence au plus près du chant, de l’essence, de ce qui coule dans la sève des jonquilles de mars et dans le sang du nouveau-né. Un terrain vierge, neutre, stérile, frais comme le premier jour de l’univers, qui ne tarde pas à s’enfuir aux cinq coins du monde.

Vivre dans un piano, c’est écouter le coeur du volcan, dormir dans le noyau de la cellule, ne souffrir ni la comparaison, ni l’éloignement, ni le futur. Ce n’est pas se prendre pour un séraphin dont les ailes touchent Dieu, ni pour Baudelaire rêvant d’aller là où la boue ne serait pas de pleurs. Vivre dans un piano, c’est habiter dans le mystère, noir, laqué, silencieux.

Ce serait presque trop facile, car il y a le danseur qui a risqué, lui, de sortir du piano pour valser, rencontrer d’autres silhouettes, tomber quand le vent est trop fort, laisser le temps changer les plis de sa peau. Il a essayé de dire ce qu’il avait vu dans le piano et leur dire d’y aller aussi.

Des études au travail, de l’infini au décompte

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L’état estudiantin est-il meilleur que l’activité professionnelle ? Se consacrer au savoir est-il plus beau que le labeur quotidien rémunéré ? La vraie différence est plutôt d’ordre mathématique.

L’étudiant ne compte ni ses heures passées en devoirs, mémoires, recherches, exposés et autres révisions. Il ne compte pas son temps passé dans l’infini du savoir, de cours trop longs en professeurs trop passionnants. Son apprentissage est sans fin, perfectible et inépuisable. Il peut poursuivre encore ce sujet, de mémoire en thèse, de réalisation en meilleure réalisation, de formations et diplômes en bourses et prix. Il économise sur son maigre budget mais ne troquerait pas forcément son état pour meilleure auberge.

Une fois sur le marché du travail, en bureau, hôpital ou chantier, tout est calculé : les heures de travail, le salaire, les congés, les cotisations, les dossiers. Les heures qui dépassent sont « supplémentaires ». Certes, on peut progresser, monter les échelons de la hiérarchie, mais pas infiniment. Il faut réaliser ses tâches, souvent répétitives même si elles peuvent évidemment être – on l’espère – intéressantes. Le professionnel travaille jusqu’au soir et a moins le temps de mener des activités parallèles qu’il affectionnait étudiant – théâtre, danse ou rugby. Il a moins ou pas de soucis financiers et déjeune sans arrière-pensée avec des tickets restaurants. Il est dans son cadre, légal, contractuel, et remplit ses fonctions.

Alors, passer des études au marché du travail, est-ce quitter l’esprit, le grand, les sphères pour devenir un pauvre rond-de-cuir ? Assurément non. C’est entrer davantage dans le contingent, le limité, le réel. Et le réel, comme le dit Woody Allen, « même si on le hait, c’est quand même le seul endroit où on peut se faire servir un bon steak. »

Vie conjugale : les cailloux et le gué

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Se marier un jour, partager à deux toute une vie quotidienne extraordinairement ordinaire, faire des projets pour un, dix ou trente ans, est une action immense, fulgurante, presque insensée. Pourtant, elle ne serait rien sans ces mille pierres posées pour bâtir le gué vers l’autre, le consolider et parfois le rétablir. Ce roc, que dis-je, ce caillou, c’est ce qui lie un instant comme une promesse deux êtres fragiles, limités, changeants, mais fidèles dans l’amour.

Le caillou, c’est les lampadaires allumés témoins d’une promenade nocturne, c’est une pâtisserie achetée en passant pour le dîner, l’œil aux aguets pour écouter l’autre, le petit post-it laissé au réveil ou au retour du travail, la photo des vacances partagées, le câlin du moment, le coup de rame d’une balade en barque, le repassage fait à la place de l’autre, la patience, une carte postale ou un faire-part reçu pour Monsieur & Madame, le débat des prénoms des (futurs) enfants, la réception du texto ou du mail affectueux en cours de journée, les notes de musique au piano, le fil de la broderie et de la lecture d’un roman de science-fiction dans le calme d’une soirée, la cuillère dans le café pris ensemble en ville,  la photo du jour de mariage dans la chambre, le pommeau de douche laissée comme l’autre préfère, le pardon demandé et reçu après un mot dur, les pétales de roses apportées, la confidence impromptue qui se prolonge en longue conversation… Comme la première gorgée de bière, les petits bonheurs de la vie conjugale comme l’amertume des jours de pluie permettent de bâtir sur le roc.

A lire aussi : L’anneau de la communauté (conjugale)

Déclaration d’amour à Versailles

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                                                                                                                                                                                                                                                            cc Flickr

Il n’y a pas à justifier un amour pour Versailles. Il écrase et éblouit comme la passion. Les rayons du couchant, ultime lueur du Roi-Soleil, embrasent en remontant le temps les frondaisons du grand parc. Versailles n’est pas un fantasme car son intemporalité s’impose au visiteur. L’imaginaire se fait réalité en moins d’un instant. Le visiteur n’est plus étranger, il se sent agrippé par l’espace et le temps dilatés et suspendus, par le ciel toujours pâle qui couvre délicatement les toits du château, par les rues austères et bon enfant de la ville, par les avenues démesurées, aux platanes humides. Le promeneur n’avance plus, il s’arrête, il épouse les rondeurs des orangers, les contours stricts du Grand Canal et la douceur des nuages à la Canaletto. Il regarde les statues protégées du gel hivernal, il puise sa mélancolie dans les arbres nus, les allées immenses et la lune en son quartier à demi dévoré. Sa joie éclate avec le feu d’artifice du samedi d’été, les chuchotements entre les bosquets avant la fête. Il fait des vers, il converse, il rit et verse sa larme, il est à Versailles.

Imelda

A lire – Un matin à Versailles

A lire – Inventaire au parc de Versailles

Versailles est-elle la capitale de la France ?

Comment ? La capitale de la France n’est-elle pas Paris ? Qu’est-ce ce fantasme de nostalgique du XVIIe siècle ou d’aristo névrosé ? Et pourtant, Versailles continue d’influencer la France et même de la gouverner…

POLITIQUE. Versailles, on est d’accord, était la capitale politique de la France du temps de Louis XIV. Mais pas seulement ! Située à seize kilomètres à vol d’oiseau du centre de Paris, elle l’a été pendant près d’un siècle, de 1682, date de l’arrivée du Roi-Soleil, jusqu’en 1789 – avec une pause lors de la régence de Philippe d’Orléans.

CC - fr.fotopedia.com

CC – fr.fotopedia.com

Mais le gouvernement est revenu à Versailles, de 1871 à 1879, suite à l’insurrection de la Commune de Paris. Le président Adolphe Thiers y a fait installer la Chambre des députés dans l’aile de Midi du château de Versailles, tandis que le Sénat s’installait à l’Opéra royal.

Versailles était à nouveau au centre du jeu en 1919, où le traité de paix entre l’Allemagne et les Alliés (en l’occurence France, Royaume-Uni, Etats-Unis, Italie) a été signé le 28 juin dans la Galerie des glaces. Un moyen d’effacer le souvenir de la défaite de 1870, dont la proclamation de l’empire allemand avait eu lieu au même endroit.

Versailles continua à être un lieu de pouvoir stratégique puisque de 1947 à 1958, l’élection du président de la République par les deux chambres (Sénat et Assemblée nationale) avait lieu à Versailles. Sous la Ve République, le Parlement s’y réunit en Congrès pour y ratifier toute modification de la Constitution, y écouter une audition du président de la République ou y autoriser l’adhésion d’un membre à l’Union européenne. Le dernier Congrès du Parlement à Versailles a eu lieu en 2008 pour modifier la Constitution.

HISTORIQUE. Vous l’avez compris, Versailles est la capitale historique par son histoire même, de Louis XIV à nos jours. On oublie parfois que Versailles a été le berceau de la Révolution française : c’est à Versailles que se sont réunis les Etats généraux en mai 1789, que le Serment du jeu de paume a été prononcé en juin, qu’ont été abolis les privilèges et votée la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en août, par l’Assemblée réunie en Etats généraux qui s’est déclarée entre temps constituante. Cette Déclaration des droits de l’homme a inspiré de nombreux textes similaires au XIXe siècle et encore en 1950 avec la Convention européenne des droits de l’homme.

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Le Serment du Jeu de paume – Wikimedia commons

Et ce n’est pas tout : où se trouve le musée d’histoire de France, créé par le roi Louis-Philippe ? A Versailles bien sûr ! Il se situe ni plus ni moins au château, notamment la Galerie des batailles, longue de 120 mètres.

TOURISTIQUE. On a suffisamment parlé du château pour ne pas évoquer Versailles comme capitale touristique. Avec ses 6,7 millions de visiteurs en 2011 (contre 5,9 millions en 2010), le château est le 4e site le plus visité en France après Disneyland Paris, le musée du Louvre et la tour Eiffel. En 2010, l’Etablissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles a rapporté 9,98 millions d’euros de bénéfice (cf. Rapport d’activité 2010, p. 364).

Avec un chiffre d’affaires de 59,2 millions d’euros en 2010, cela donne un très honorable taux de rentabilité de 16,85 %. Merci qui ? Merci Louis XIV ! (Bon, il est vrai que le Ministère de la Culture a donné 5,9 millions cette année-là). Et merci à tous ceux qui continuent de faire du mécénat, d’investir et d’imaginer et mettre en œuvre les spectacles du type Grandes Eaux musicales, concerts à l’Opéra royal, grandes expositions, spectacles de chevaux à l’Académie équestre dans les Grandes Ecuries du roi, bal masqué sélect et autres réjouissances.

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Les Grandes Eaux nocturnes – Wikimedia commons

ARTISTIQUE. Versailles est, comme vous venez de le toucher du doigt, une capitale artistique importante, symbole du Grand Siècle (cf. le passionnant entretien que nous avions réalisé avec Emmanuel P.) qui a fait rayonner la réputation de la France dans l’Europe et le monde entier… et dont les millions de touristes, asiatiques ou non, en sont le lointain symptôme. Un exemple parmi d’autres : les jardins « à la française » sont l’œuvre d’André Le Nôtre (fêté cette année) qui édifia les jardins de Versailles, tandis que du côté de l’horticulture, c’est Jean-Baptiste de La Quintinie, créateur du Potager du roi, qui posa les bases du genre.

Bref, ce qu’on appelle « l’art de vivre à la française » avec les clichés plus ou moins fantasmés et aristocratiques que l’expression comporte (politesse, gastronomie, vêtements, promenades, etc.) semble sortir de l’imagerie versaillaise du XVIIe ou XVIIIe .

La cathédrale Saint-Louis - Wikimedia commons.

La cathédrale Saint-Louis – Wikimedia commons.

RELIGIEUSE. Versailles est une capitale religieuse. La religion majoritaire en France, le catholicisme, (56 % de la population en 2012 selon une étude du CSA), y est surreprésenté, notamment parmi les pratiquants réguliers : ils représentent 15 % des Versaillais, selon un article du Point, soit trois fois plus que dans le reste de la France (4,9 % selon l’étude CSA). Il existe plusieurs paroisses catholiques et une offre d’activités (solidarité, formation etc.) digne des grandes paroisses parisiennes. On trouve également d’autres lieux de culte.

MILITAIRE. Enfin, Versailles est une capitale militaire. Elle est le lieu d’implantation (notamment à Satory) de directions nationales, telles que celle du Service d’infrastructure de la défense (SID) et de celle du GIGN ou encore la Direction centrale du matériel de l’armée de terre, mais aussi des entreprises d’armements comme Giat Industries (Nexter group) qui embaucherait plus de 300 personnes .

On peut donc dire que Versailles garde un solide héritage d’ancienne capitale de la France, encore vivant par plusieurs aspects, tout en ayant déjà le charme de la vie de province (calme, vie de quartier, voire rues désertes : un aperçu en ces lignes.)

A lire aussi : Rome domine-t-elle encore le monde ?

Revenir aux choses lentes et éternelles

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Crédit : Dorothée P.

Revenir à des occupations bloguesques après s’être mariée (preuve en image ci-contre), c’est comme retrouver les reflets du réel après avoir bu le sirop concentré des émotions humaines. Un jour d’amitié, de joie, d’amour et de clarté se prépare longtemps à l’avance et s’en remettre met du temps, comme après une soirée d’ivresse.

Quoi qu’il en soit, je voudrais vous faire partager une lecture, où lassitude et remise en cause sont de mise : Une certaine fatigue de Christian Authier, paru à l’automne 2012 chez Stock. Des sentiments qui semblent à l’opposé des miens. Et pourtant, la fatigue ramène à l’essentiel, à l’état initial des choses lentes ou éternelles. Pas loin donc, du don partagé des époux.

Le narrateur et personnage principal de cette histoire, Patrick Berthet, est un architecte père de famille que tout semble favoriser. Pourtant, son père meurt. Puis un cancer se déclare. Puis, l’homme apprend que ce diagnostic était une erreur : sa vie n’est absolument pas en danger. C’est là que commence la crise.

9782234070202-GCrise de milieu de vie, mais plus encore : comment peut-on revenir de la mort ? Vivre en survivant ? Patrick part. Il n’est pas au bout de ses découvertes. Comme dans Lazare est de retour de Jean-Marc Bastière, la question du retour à la vie étale sa complexité. Comment reprendre goût à l’existence quand on y a renoncé ? La vie moderne est-elle si satisfaisante pour Patrick ?

Fluide, intimiste et peignant délicatement des mosaïques de sentiments, ce roman laisse moins un goût d’amertume, que de tension vers une vie plus simple : moins connectée et moins rapide certes, mais aussi plus riche dans l’exclusivité d’un amour partagé.

A LIRE AUSSI : Une si douce fureur, du même auteur.

L’anneau de la communauté (conjugale)

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                                                                             DR

Lorsque l’on regarde des instrumentistes, aux doigts vifs autour de la flûte ou des cordes de la contrebasse, on aperçoit parfois, fugace et lumineux, l’éclat d’une alliance. Cette apparition entre deux ombres, au plus près de l’expression chantante de l’art et de la pratique professionnelle du musicien jouant ce soir-là, émeut. Alliance, lien ou enchaînement ? Joyau ou prison ?

Le cercle d’or ressemble à une cage dorée, écrouant l’amoureux dupé. Dupé par sa naïveté, quand disparaît l’amour au gré des saisons. Trompé par ses espoirs. Séquestré par sa volonté d’hier. Voyant son indépendance brisée par le fer.

Pourtant, l’anneau incarne cet engagement entre deux personnes ayant fait le fou pari de s’enchaîner. De prendre le risque, choisir la chance de vivre ensemble davantage qu’une existence : une alliance. Plus que des années : une destinée. Bâtie sur des bases dessinées un jour, où en noir et blanc la parole est reçue et donnée.

L’alliance est un cercle infini, infinie comme l’amour mérité par la personne. Dans ce cercle d’or il y a des enfants précieux et des cheveux d’argent. Il y a le puits sans fond de l’autre à redécouvrir et à chérir. Il y a le puits des faiblesses acceptées, des reculs pardonnés, des blessures à demi comblées.

L’alliance crée une chaîne de solidarité familiale et sociale. Elle unit dans la totalité de l’amour deux personnes d’un lien qui les surpasse, d’une humanité protégée par un ciel d’or.

Les absurdes jacassements de Fulberte (2)

sitelleBonjour les cocos ! Figurez-vous que je me suis rendue compte, tout en descendant d’un arbre à une vitesse relative à 5,77 / Pi fois celle de la lumière quand il grêle, d’une chose immense, atroce, fulgurante.

Vous, les pauvres humains occidentaux, vous êtes en train de laisser à l’abandon ce chef d’œuvre du sous-génie humain, cette 537e merveille du monde, cet objet au moins aussi fondateur que la Bible et l’Illiade… J’ai nommé : le crayon. Ou le stylo. Bref : l’outil scripteur, et son corollaire, la piste graphique.

Cette fois, ce ne sont plus des ricanements qui vont exploser de votre bouche, mais une strangulation aussi immédiate qu’incontrôlée : « Grrlb, euh, quoi… Brouf… Argh ? »

Allez-y, dites-moi une occasion où vous utilisez le stylo.

« Bah, euh… »

Non, vous ne trouvez pas. Vous étudiez le malaisien en 7e langue ? (après le serbo-croate évidemment) C’est sur un ordinateur que vous prenez vos notes dans vos cours du soir et les relisez soigneusement ensuite, dans votre soupente à peine éclairée d’une préhistorique chandelle.

« Bah, je ne sais pas, je l’utilise n’importe quand, dès que j’ai envie de noter un truc ! »

Un « rappel » ou une « alarme » sur votre téléphone portable suffira. Non, ne niez pas. Vous avez décidé de réaliser une sublime charlotte panachée d’une ganache de chocolat aux amandes et au jambon normand ? Vous recopiez d’une main hâtive et tremblante les grammes de sucre sur un bout de papier déchiré de votre agenda ? Que nenni ! Vous transportez votre ordinateur voire votre tablette connectée à marmiton.org au beau milieu des coquilles d’œufs vides dégoulinantes et de la poudre de farine bleue qui finit par cacher totalement votre écran.

« Mais enfin, j’écris quand… euh… »

Faire le planning d’une journée karaté portugais-pique-nique en forêt ? Vous avez le choix entre ces milliers, millions de supports numériques, téléphone, smartphone, tablette, toblérone qui hantent vos affaires.

Écrire une lettre de motivation au stylo pour avoir enfin ce poste d’ingénieur en microchimie de la confiture ? Vous voulez passer pour un vieillard d’Outre-Modernité ou quoi ?

Annoter des photos ? Vous remplissez les champs « métadonnées » de votre photo sur votre écran. Annoter un livre ? Il y a des applications mobile et tablette pour ça. Oui, pour des livres numériques bien sûr, dont les ventes accusent en France des taux de croissance à deux voire trois chiffres, aussi titanesques que ceux de la production de harengs-saur (pas vérifié le pluriel de ce mot) en Hongrie au mois de mars (fin mars plus exactement).

« Mais pourquoi vend-on encore des crayons alors, dans les jolies librairies ? » rétorquerez-vous alors, la bouche pleine d’une écume bizarroïde.

Peut-être pour le grignoter nonchalamment, faire semblant d’avoir une baguette magique pour épater votre ado gloussant et blasé, ou encore récupérer un mini-ourson de velours bleu qui avait glissé sous votre armoire. Et je ne vous parle même pas de la plume d’oie, que j’interdis sous peine qu’un jour aussi, les plumes de sitelle plongent volontairement dans des mare d’encre ébène.

Rome domine-t-elle encore le monde ?

D.R.

Tant de poètes éperdus ont contemplé les ruines du Forum romain avec nostalgie, laissant leurs vers entrelacer la gloire révolue de la Rome antique. La « vraie » Rome quoi, celle du Sénat et des Césars, qui domina les confins du monde connu. Celle que le Romain du XXIe siècle foule au sens propre chaque jour – regardez ces plaques d’égoût frappées de la devise de la République romaine S.P.Q.R. : Senatum populusque Romanus, « Le Sénat et le peuple romain ».

Que reste-t-il de ces grandeurs empoussiérées ? Rome n’est-elle pas définitivement désagrégée dans le creux des arcs de ses triomphes passés ? Réduite à être objet de fouilles, comme si l’on cherchait désespérément le philtre qui allait la faire revivre ?

Rome est-elle morte ?

Non. Absolument pas. Quelques petits exemples.

Promenez-vous dans le vaste monde. Du Mexique au Sénégal, de l’Espagne au Brésil, de la France à la Roumanie, du Québec à l’Angola, on parle des langues… latines (romanes plus exactement). Donc issues de cette langue désormais dite ancienne  – encore langue juridique au Vatican -, mais qui s’est élaborée sur la péninsule italienne aux alentours du IIIe siècle avant Jésus-Christ.

Le calendrier dit julien, de 365 jours un quart, utilisé de Washington à Johannesbourg, de Moscou à Sydney, a été inventé par Jules César lui-même, pour vous servir. L’alphabet latin est le système d’écriture le plus employé dans le monde.

La République, le Sénat, le droit civil sont des inventions de Rome. Pas mal de gens s’en sont inspirés aux quatre coins de la planète.

Les immeubles à étage (insulae), les chaussées pavées, les bains publics, les ponts et aqueducs et les égoûts, ont inspirés des générations d’architectes, en Europe puis dans le monde entier.

Côté culture, il serait trop long de tout nommer concernant la culture occidentale. Au hasard : Jules César de Shakespeare, Horace de Corneille, les séries de péplum des années 60 ou plus récemment l’hollywoodien Gladiator, reflètent la gloire de Rome mais la perpétuent encore tranquillement.

L’épicurisme d’Horace, le stoïcisme de Sénèque, le scepticime de Sextus Empiricus, la pensée chrétiennee de saint Augustin ont posé les bases (avec les philosophes grecs il est vrai) de mouvements philosophiques des siècles suivants, et aujourd’hui encore leurs héritiers se crêpent le chignon. 

Rome, c’est évidemment le lieu où l’apôtre Pierre choisit malgré lui d’y établir le siège de l’Eglise chrétienne en devenant le premier évêque de Rome puis le premier pape au Ier siècle de notre ère. Les deux milliards de chrétiens dans le monde en savent quelque chose lorsqu’on parle de « Rome » pour évoquer par métonymie l’Eglise catholique.

Il ne s’agit certes pas d’ignorer les autres civilisations, qui ont inventé pas mal de choses aussi. Mais je crois que Rome, alors qu’elle n’est aujourd’hui que la capitale d’un petit pays en crise,  domine encore dans ses fibres culturelles,  une bonne partie du monde.

Le Panthéon romain (125 ap. Jésus-Christ)

L’art du contraste au quotidien

Petite réflexion sans prétention, qui n’a pas peur de théoriser ni de généraliser, la maraude.

Une journée bien remplie est une journée où il y a eu de multiples occupations, et souvent des coupures plus ou moins longues : pause café, récréation, courses au supermarché, pause déjeuner, verre pris avec quelqu’un, réunion, conversation téléphonique, douche, trajet en voiture ou en métro, « break », JT de 20 heures ou prière (bref, un rite), etc.

Entre deux occupations, le plaisir de passer de l’une à l’autre représente un contraste soit agréable, soit désagréable, ou éventuellement neutre. D’où les enchaînements suivants : après l’effort, le réconfort ; après la pause, la reprise ; après le voyage, le retour ; après la carrière professionnelle, la retraite ; après les soldes de prêt-à-porter, la nouvelle collection ; après l’élection, le mandat… Et ainsi de suite.

Outre la multiplication les « tranches de vie », prodiguant l’impression d’une durée dilatée en même temps qu’un rythme plus rapide des choses, ce contraste à toutes les échelles du temps est mais également beau.

La beauté comme art du contraste n’est plus à démontrer. Victor Hugo en avait fait un de ses angles de vue : Quasimodo et Esméralda suffisent pour incarner un exemple. Et je n’ose pas nommer le gros Obélix et le petit Astérix. Si des mariés sont beaux, c’est parce que l’un est habillée en blanc et l’autre en noir. Un vêtement spécial qui allie opacité et transparence est souvent seyant. Bref : voir la photo d’un adolescent et à côté la même personne avec soixante ans de plus provoque souvent l’émotion. Pareil pour celle du jeune doctorant puis de l’académicien chenu.

Alors si à l’échelle d’une existence, la beauté du contraste fait vibrer nos fibres, pourquoi voir notre valise de vacances à côté notre mallette professionnelle ne nous émouvrait pas ? (à supposer que l’on aime son métier) Pourquoi ne pas se réjouir de chaque passage à une autre occupation, une autre sensation ? Pourquoi ne pas affiner notre sensation du contraste ? Nous nous réjouissons du contraste entre  la chaleur de l’air et l’eau fraîche de la piscine. Pourquoi ne pas trouver la beauté entre les actions les plus neutres, telles que faire la vaisselle et changer les rideaux, ou encore conseiller un client et tenir la caisse ?

Remarquer la transparence d’un verre et l’opacité d’un rideau, mène au bout de quelque entraînement à voir que la couleur des yeux d’un client est totalement différente du client suivant. Que notre belle-soeur n’attend de nous pas du tout la même chose que notre autre belle-soeur. Que l’aîné de nos enfants devient fou quand on lui offre un cadeau alors que le cadet préfère les câlins. Que la différence est l’un des plus beaux cadeaux de la nature.

Imelda

A lire sur le même thème : Pastiche de Montesquieu – « Lettres imeldiennes »